La RSE en zone de turbulence
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Le « projet omnibus » lié au Green Deal européen constitue un « moment de vérité » pour la responsabilité sociale des entreprises en Europe. Point de situation.
Le 26 février, l'Union européenne a présenté les grandes lignes du « projet omnibus » visant à simplifier la réglementation européenne dans le cadre du Green Deal. Si ce projet venait à être adopté par le Parlement européen, il entraînerait un allégement significatif des exigences de transparence en matière de publication de rapports sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE). En effet, le périmètre des entreprises soumises à la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) et à la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD) ainsi que l'étendue des informations à fournir seraient considérablement restreints. Le nombre d'entreprises concernées par l'obligation de transparence passerait d'environ 50’000 à 7’000, soit bien en deçà des 11’000 entreprises qui étaient soumises à la directive sur le reporting non financier (NFRD) qui précédait elle-même la CSRD. Ce changement représente donc un changement de direction notable.
La vague anti-ESG constatée aux États-Unis gagnerait-elle l'Europe ? Il est important de noter que les dynamiques entre ces deux régions sont différentes. Aux États-Unis, la méfiance à l'égard des considérations non financières est principalement alimentée par des arguments de nature politique, fluctuant au gré des changements d'administration. En Europe, certains partis hostiles aux initiatives de transparence sur les questions non financières gagnent certes en influence. Cependant, le « projet omnibus » s'inscrit avant tout dans une logique économique. Cette évolution découle directement du rapport Draghi, dont l’objectif est de renforcer la compétitivité économique de l'Union européenne tout en poursuivant la transition écologique. Ainsi, la problématique environnementale demeure au cœur de ces réformes, renforcée par des préoccupations géopolitiques, notamment l'impératif d'indépendance et de sécurité énergétique pour l'Europe. L'accent est alors mis, entre autres, sur le déploiement des investissements en faveur des énergies renouvelables. Par contre, l’exercice même de transparence qui incite les acteurs économiques à rendre compte des impacts réciproques entre modèle d’affaires et problématiques environnementales et sociales, est en voie d’être sacrifié sur l'autel de la compétitivité et de l'efficacité.
Là où l’Europe semble faire volte-face, il est intéressant d’observer l’attitude de Pékin. Le 17 décembre dernier, le ministère chinois des Finances, en collaboration avec huit autres autorités gouvernementales (dont la Banque de Chine), a publié ses nouvelles normes de publication RSE, les CSDS (Corporate Sustainability Disclosure Standards). Elles constituent une version chinoise, tout aussi exigeante que la CSRD « pré-omnibus ». Toutefois, leur mise en œuvre s’opère en plusieurs étapes, offrant aux entreprises concernées (actuellement les sociétés cotées) la possibilité d’adapter progressivement leurs processus. L’implémentation est facilitée par des guidelines clairs et précis, témoignant d’un certain pragmatisme. L’approche de la Chine repose sur la conviction que la transparence non financière procurera, à terme, un avantage concurrentiel substantiel à ses acteurs économiques. En se dotant de métriques fiables, ceux-ci seront alors capables de piloter leur stratégie financière tout en monitorant les inévitables interactions qui s’opèrent entre leur modèle d’affaires et les défis environnementaux et sociaux. Cette approche a vocation à faire du reporting RSE un outil stratégique. A noter qu’au lendemain de la Grande Dépression de 1929, l’obligation de produire un rapport financier avait suscité une forte résistance, comparable à celle rencontrée aujourd’hui par la démarche de publication RSE. Or, aujourd’hui, les acteurs économiques s’accordent sur l’importance stratégique que revêt l’exercice de transparence financière.
Des pays comme l’Inde, Singapour, le Canada ou l’Australie adoptent une posture similaire à celle de l’Empire du Milieu. Faut-il craindre que l’Europe ait cédé au seul argument du « fardeau financier » pour motiver son désir de « simplification », à rebours d’années de leadership dans ce domaine ? L’avenir le dira… En attendant, il sera intéressant de voir comment la Suisse s’ajustera à ce nouveau contexte dans le cadre du projet en cours de révision des articles 964a et suivants du Code des obligations suisse.
Damien Contamin